vendredi 28 décembre 2012

Question de trajectoire

C’est particulier de se regarder vieillir. 

Par le passé, ça se passait uniquement dans ma tête, par exemple en me disant "Mon Dieu, j'ai 27 ans pis j'ai rien accompli de ma vie". Mais depuis deux ou trois ans, ça se passe aussi dans mon miroir: j’ai remarqué que les années commencent  à paraitre sur mon corps, notamment avec mon début de bedaine et mes nombreux cheveux gris qui semblent se multiplier à une vitesse exponentielle. 

C’est aussi particulier de regarder les autres vieillir. Comme les membres de sa famille, son chum/sa blonde ou les amis d'enfance...

Le jour de Noël, j’ai reçu un coup de fil de mon ami d’enfance. Lui et moi, on se connait depuis qu’on est bébés, ce qui fait en sorte que notre relation est spéciale et qu’on se fait un devoir de la faire durer.

Quand on était jeunes, on était déjà différents : lui sportif, manuel et fils de parents aisés, moi intellectuel et fils de parents de classe moyenne. On s’entendait quand même bien tous les deux et on jouait souvent ensemble. Quand il est déménagé, vers l’adolescence, on a gardé contact. On n’était plus voisins mais on habitait à une quinzaine de kilomètres, ce qui n’était pas assez pour qu’on se perde de vue.  

À partir du moment où il a été en âge d’avoir des jobs d’été, j’ai commencé à le voir beaucoup moins. En fait, je pense que je ne l’ai à peu près pas vu à chaque été depuis ses 16 ou 18 ans. Ses horaires étaient surchargés : il travaillait sur des jobs de terrassement et faisait du 60 heures par semaine en moyenne. Il travaillait tout le temps. Tout le temps. Tout le temps. C’est probablement à compter de cette époque que j’ai réalisé que pour lui, dans la liste des priorités, ex-aequo en position 1, 2, 3, 4 et 5, y’avait l’argent. En fait, je l’ai probablement pas conçu clairement à cette époque, mais ça s’est précisé au fil du temps, notamment avec toutes les anecdotes qui suivent…

Quelques années plus tard, il est parti étudier à Montréal. Pendant un an, il est resté avec ma sœur, dans son condo, en lui payant un loyer. À cette époque, il avait déjà une Acura et un Sea-Doo, mais quand venait le temps de payer ma sœur, il invoquait ne pas avoir l’argent et proposait de payer un peu plus tard. Ma sœur m’avait aussi dit qu’il ne se gênait pas pour boire sa bière à elle ou profiter de sa bouffe. Ça ne me surprenait pas parce que j’avais déjà remarqué que quelque chose clochait dans son rapport à l’argent. En deux mots, j’avais remarqué que c’était un gars avec plein de cash qui se décrivait ouvertement comme un gars sans le sou. 

Quand j’ai commencé à sortir avec Aimepé, elle habitait à Montréal. Un jour, mon ami nous avait offert de lifter Aimepé jusqu’à Québec à l’occasion puisque lui aussi venait à Québec durant les fins de semaine. Par politesse, elle lui avait écrit pour lui demander son tarif (on pensait que ça serait gratuit ou alors vraiment pas cher étant donné la façon dont il nous en avait parlé). Il avait répondu qu’il chargeait habituellement 20 ou 30$ par personne (je ne me rappelle plus du prix exact), ce qui était supérieur au prix d’Allo-Stop. Ce que j’envisageais être un privilège d’amitié était en fait une prime d’amitié pour lui. Aimepé n'a donc jamais recouru à ses services.

Un soir, on était sortis tous les deux. En arrivant au bar, pour se commander une bière, il se sort une poignée de change des poches et me dit que c’est tout ce qu’il a. Je pense qu’il n’avait pas plus que 5$ sur lui. Je sais pas trop s’il s’attendait à ce que je paye pour lui, mais ça m’a estomaqué de voir qu’il n’a jamais dit qu’il irait se retirer un peu d’argent au guichet. Je pense honnêtement qu’il s’attendait à ce que je paye pour lui.
Dans le même ordre d'idée, quelques années plus tard, on avait fait une sortie de couples ensemble et il était arrivé avec sa blonde, dans l’auto de sa blonde et lui avait demandé de payer sa bière.

Quand mon garçon est né, jamais il n’a manifesté le désir de le voir. Il était occupé à construire sa grosse maison de 500 000 ou 600 000$, à 15 km de chez nous. Ça a pris au moins 6 mois avant qu’on organise un souper, avec un peu de pression de ma part. Je me rappelle lui avoir dit que si ça continuait comme ça, mon gars allait marcher lorsqu'il allait le voir...

Ensuite, il est parti travailler dans l’ouest, laissant grosse maison et blonde enceinte à Québec. Son bébé est né pendant un de ses congés à Québec, puis il est reparti travailler dans l’ouest. Aujourd’hui, ça doit faire 2 ans qu’il travaille là-bas en revenant quelques jours par mois. 

Je comprends pas comment sa blonde peut accepter ça et comment lui-même peut vivre en paix avec sa conscience en passant à côté des premières années de vie de son bébé. 

Environ un an après la fin de la construction de leur grosse maison, lui et sa blonde ont vendu le tout pour s’acheter une autre plus grosse maison. Cette fois là, c’était une cabane de 700 000 ou 800 000$. Le genre de maison inaccessible pour 99% de la population. 

Récemment, ils ont vendu cette deuxième luxueuse demeure pour s’en acheter une autre qui n’est pas encore construite. En trois ou quatre ans, ils en étaient donc à leur troisième maison neuve. Quand je lui ai demandé pourquoi il déménageait encore, il m’a répondu qu’il n’aimait pas son terrain et qu’il ne voulait plus une maison avec la façade en pierre (!?!?!?!). C’était évidemment de la bullshit masquant son malaise de dire qu'il faisait ça exclusivement pour se faire encore plus d'argent dans son périple vers la richesse infinie.

Je me suis mis à trouver que ça allait vraiment trop loin. Ça avait aucun impact sur notre relation, mais je réalisais qu’il se sacrait de tout hormis l’argent. Tout ce qu’il voulait, c’était de faire toujours plus d’argent, d’avoir une maison toujours plus grosse pis de dépenser le moins possible.

Contrairement à ce qui s’est passé à la naissance de mon garçon, quand son bébé est né, il a pas perdu de temps : moins de deux semaines après sa naissance, il s’invitait chez nous avec elle. Je spécifie ici qu’il s’invite toujours chez nous ou chez mes parents et ne m’invite jamais chez lui. Il appelle et dit : « Qu’est-ce que tu fais, là? J’irais faire un tour chez vous! ». 

Normalement, ça me dérangerait pas de le recevoir, mais quand c’est toujours comme ça depuis au moins 10 ans, on fait le lien avec tout le reste et on se dit : « Pourquoi il m’invite pas chez lui? Parce qu’il veut pas avoir à m’offrir une bière ou quelque chose à manger? Parce qu’il veut pas monter le chauffage pour moi? ».

Ça fait que considérant le fait que j’avais de ses nouvelles 2 ou 3 fois par année et que seulement une de ces fois était pour m’offrir de se voir right now et chez nous, j’ai eu de moins en moins le goût d’accepter ses offres même si elles étaient très peu fréquentes. C’était pas du donnant-donnant. C’était du offrant-acceptant. Je m'attendais pas à ce qu'il me paye la traite, mais je m'attendais au moins à ce qu'il soit capable de m'inviter à prendre une bière chez lui, dans sa piaule à trois-quart de million de dollars. Mais c'est jamais arrivé.

Tout ça, c’est pas spécifique à notre relation. C’est spécifique à sa relation avec le monde en général. En d’autres mots, je ne pense pas qu’il soit plus cheap ou moins attentionné avec moi qu’avec qui que ce soit d’autre. Bref, je ne le prends pas personnel. Je pense juste que c’est un gars qui, avant de faire un pas, évalue si c’est rentable et surtout, à quel point c’est rentable. Et surtout, je pense qu’à peu près rien n’est important pour lui. Ni sa blonde, ni ses « amis » et j'ai même certains doutes sur son bébé. En fait, je précise que je le pense capable d'affection, mais le cash restera selon moi toujours devant tout le reste. Probablement que sa famille (parents et frères) est relativement importante pour lui, mais c’est une des dernières personnes que j’imaginerais en train de faire un cancer parce qu’il s’inquiète trop pour quelqu’un de son entourage.

C’est quand même un bon gars. Il m’appelle 3 ou 4 fois par année pour s’informer, mais c’est pas des grosses discussions de fond. Ça reste toujours en surface, tout va bien, tout est cool. Sa blonde nous a déjà dit qu’il était secret, qu’il parlait pas beaucoup. Je pense qu’il n’est pas capable de s’ouvrir. Je pense que son unique désir dans la vie est de s'accomplir matériellement. Je ne vois pas une pyramide de Maslow avec beaucoup de détails en lui.

Je trouve ça très plate de l'affirmer, mais c'est uniquement mon ami parce que c'est mon plus vieil ami. Mais maudit que j'aimerais dire le contraire.

Ça serait cool d'avoir un ami depuis 30 ans avec qui je ressens que les 30 années ont du poids.

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