C’est particulier de se regarder
vieillir.
Par le passé, ça se passait uniquement dans ma tête, par exemple en me disant "Mon Dieu, j'ai 27 ans pis j'ai rien accompli de ma vie". Mais depuis deux ou trois ans, ça se passe aussi dans mon miroir: j’ai remarqué que les années commencent à
paraitre sur mon corps, notamment avec mon début de bedaine et mes
nombreux cheveux gris qui semblent se multiplier à une vitesse
exponentielle.
C’est aussi particulier de regarder les
autres vieillir. Comme les membres de sa famille, son chum/sa blonde ou les amis d'enfance...
Le jour de Noël, j’ai reçu un coup de
fil de mon ami d’enfance. Lui et moi, on se connait depuis qu’on est
bébés, ce qui fait en sorte que notre relation est spéciale et qu’on se
fait un devoir de la faire durer.
Quand on était jeunes, on était déjà
différents : lui sportif, manuel et fils de parents aisés, moi
intellectuel et fils de parents de classe moyenne. On s’entendait quand
même bien tous les deux et on jouait souvent ensemble. Quand il est
déménagé, vers l’adolescence, on a gardé contact. On n’était plus
voisins mais on habitait à une quinzaine de kilomètres, ce qui n’était
pas assez pour qu’on se perde de vue.
À partir du moment où il a été en âge
d’avoir des jobs d’été, j’ai commencé à le voir beaucoup moins. En fait,
je pense que je ne l’ai à peu près pas vu à chaque été depuis ses 16 ou
18 ans. Ses horaires étaient surchargés : il travaillait sur des jobs
de terrassement et faisait du 60 heures par semaine en moyenne. Il
travaillait tout le temps. Tout le temps. Tout le temps. C’est
probablement à compter de cette époque que j’ai réalisé que pour lui,
dans la liste des priorités, ex-aequo en position 1, 2, 3, 4 et 5,
y’avait l’argent. En fait, je l’ai probablement pas conçu clairement à
cette époque, mais ça s’est précisé au fil du temps, notamment avec
toutes les anecdotes qui suivent…
Quelques années plus tard, il est parti
étudier à Montréal. Pendant un an, il est resté avec ma sœur, dans son
condo, en lui payant un loyer. À cette époque, il avait déjà une Acura
et un Sea-Doo, mais quand venait le temps de payer ma sœur, il invoquait
ne pas avoir l’argent et proposait de payer un peu plus tard. Ma sœur
m’avait aussi dit qu’il ne se gênait pas pour boire sa bière à elle ou
profiter de sa bouffe. Ça ne me surprenait pas parce que j’avais déjà
remarqué que quelque chose clochait dans son rapport à l’argent. En deux
mots, j’avais remarqué que c’était un gars avec plein de cash qui
se décrivait ouvertement comme un gars sans le sou.
Quand j’ai commencé à sortir avec
Aimepé, elle habitait à Montréal. Un jour, mon ami nous avait offert de
lifter Aimepé jusqu’à Québec à l’occasion puisque lui aussi venait à
Québec durant les fins de semaine. Par politesse, elle lui avait écrit
pour lui demander son tarif (on pensait que ça serait gratuit ou alors
vraiment pas cher étant donné la façon dont il nous en avait parlé). Il
avait répondu qu’il chargeait habituellement 20 ou 30$ par personne (je
ne me rappelle plus du prix exact), ce qui était supérieur au prix
d’Allo-Stop. Ce que j’envisageais être un privilège d’amitié était en
fait une prime d’amitié pour lui. Aimepé n'a donc jamais recouru à ses services.
Un soir, on était sortis tous les deux.
En arrivant au bar, pour se commander une bière, il se sort une poignée
de change des poches et me dit que c’est tout ce qu’il a. Je pense
qu’il n’avait pas plus que 5$ sur lui. Je sais pas trop s’il s’attendait
à ce que je paye pour lui, mais ça m’a estomaqué de voir qu’il n’a
jamais dit qu’il irait se retirer un peu d’argent au guichet. Je pense
honnêtement qu’il s’attendait à ce que je paye pour lui.
Dans le même ordre d'idée, quelques années plus tard, on avait
fait une sortie de couples ensemble et il était arrivé avec sa blonde,
dans l’auto de sa blonde et lui avait demandé de payer sa
bière.
Quand mon garçon est né, jamais il n’a
manifesté le désir de le voir. Il était occupé à construire sa grosse
maison de 500 000 ou 600 000$, à 15 km de chez nous. Ça a pris au moins 6
mois avant qu’on organise un souper, avec un peu de pression de ma
part. Je me rappelle lui avoir dit que si ça continuait comme ça, mon
gars allait marcher lorsqu'il allait le voir...
Ensuite, il est parti travailler dans
l’ouest, laissant grosse maison et blonde enceinte à Québec. Son bébé
est né pendant un de ses congés à Québec, puis il est reparti travailler
dans l’ouest. Aujourd’hui, ça doit faire 2 ans qu’il travaille là-bas
en revenant quelques jours par mois.
Je comprends pas comment sa blonde peut
accepter ça et comment lui-même peut vivre en paix avec sa conscience en passant à côté des premières années de vie de son bébé.
Environ un an après la fin de la
construction de leur grosse maison, lui et sa blonde ont vendu le tout
pour s’acheter une autre plus grosse maison. Cette fois là, c’était une
cabane de 700 000 ou 800 000$. Le genre de maison inaccessible pour 99%
de la population.
Récemment, ils ont vendu cette deuxième
luxueuse demeure pour s’en acheter une autre qui n’est pas encore
construite. En trois ou quatre ans, ils en étaient donc à leur troisième
maison neuve. Quand je lui ai demandé pourquoi il déménageait encore,
il m’a répondu qu’il n’aimait pas son terrain et qu’il ne voulait plus
une maison avec la façade en pierre (!?!?!?!). C’était évidemment de la
bullshit masquant son malaise de dire qu'il faisait ça exclusivement pour se faire encore plus d'argent dans son périple vers la richesse infinie.
Je me suis mis à
trouver que ça allait vraiment trop loin. Ça avait aucun impact sur
notre relation, mais je réalisais qu’il se sacrait de tout hormis l’argent. Tout ce
qu’il voulait, c’était de faire toujours plus d’argent, d’avoir une
maison toujours plus grosse pis de dépenser le moins possible.
Contrairement à ce qui s’est passé à la
naissance de mon garçon, quand son bébé est né, il a pas perdu de
temps : moins de deux semaines après sa naissance, il s’invitait chez
nous avec elle. Je spécifie ici qu’il s’invite toujours chez nous ou
chez mes parents et ne m’invite jamais chez lui. Il appelle et dit :
« Qu’est-ce que tu fais, là? J’irais faire un tour chez vous! ».
Normalement, ça me dérangerait pas de
le recevoir, mais quand c’est toujours comme ça depuis au moins 10 ans,
on fait le lien avec tout le reste et on se dit : « Pourquoi il m’invite
pas chez lui? Parce qu’il veut pas avoir à m’offrir une bière ou quelque
chose à manger? Parce qu’il veut pas monter le chauffage pour moi? ».
Ça fait que considérant le fait que
j’avais de ses nouvelles 2 ou 3 fois par année et que seulement une de
ces fois était pour m’offrir de se voir right now et chez nous, j’ai eu
de moins en moins le goût d’accepter ses offres même si elles étaient
très peu fréquentes. C’était pas du donnant-donnant. C’était du
offrant-acceptant. Je m'attendais pas à ce qu'il me paye la traite, mais je m'attendais au
moins à ce qu'il soit capable de m'inviter à prendre une bière chez lui,
dans sa piaule à trois-quart de million de dollars. Mais c'est jamais
arrivé.
Tout ça, c’est pas spécifique à notre
relation. C’est spécifique à sa relation avec le monde en général. En
d’autres mots, je ne pense pas qu’il soit plus cheap ou moins
attentionné avec moi qu’avec qui que ce soit d’autre. Bref, je ne le
prends pas personnel. Je pense juste que c’est un gars qui, avant de
faire un pas, évalue si c’est rentable et surtout, à quel point c’est
rentable. Et surtout, je pense qu’à peu près rien n’est important pour
lui. Ni sa blonde, ni ses « amis » et j'ai même certains doutes sur son bébé. En fait, je précise que je le pense capable d'affection, mais le cash restera selon moi toujours devant tout le reste. Probablement que sa famille (parents et frères) est
relativement importante pour lui, mais c’est une des dernières personnes que j’imaginerais en train de faire un cancer parce qu’il
s’inquiète trop pour quelqu’un de son entourage.
C’est quand même un bon gars. Il
m’appelle 3 ou 4 fois par année pour s’informer, mais c’est pas des
grosses discussions de fond. Ça reste toujours en surface, tout va bien, tout est cool. Sa blonde nous a déjà dit qu’il était
secret, qu’il parlait pas beaucoup. Je pense qu’il n’est pas capable de
s’ouvrir. Je pense que son unique désir dans la vie est de s'accomplir matériellement. Je ne vois pas une pyramide de Maslow avec beaucoup de détails en lui.
Je trouve ça très plate de l'affirmer, mais c'est uniquement mon ami parce que c'est mon plus vieil ami. Mais maudit que j'aimerais dire le contraire.
Ça serait cool d'avoir un ami depuis 30 ans avec qui je ressens que les 30 années ont du poids.
Ça serait cool d'avoir un ami depuis 30 ans avec qui je ressens que les 30 années ont du poids.
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