Je
dois vous parler de quelqu'un avec qui je travaille. Pour préserver
son anonymat ainsi que me protéger contre d'éventuelles poursuites pour
salissage de sa part, je l'appelerai "Le vieux criss de sale".
Notre
acolyte est un homme qui se décrit comme étant dans la cinquantaine.
Or, malgré son statut de quinquagénaire, il a l'air d'avoir au moins 15
ans de plus que mon père qui aura 60 ans dans les prochains mois.
À
ma première journée ici, en janvier dernier, il est venu me voir 5 ou 6
fois pendant la journée pour remplir de la paperasse relative à mon
entrée en fonction. J'ai eu envie de vomir toute la journée puisqu'il
avait quelque chose de dégueulasse et de très apparent qui lui sortait
de chaque narine. Je me suis dit que c'était soit un amas de poils
blancs, soit des tubes ou soit de la morve séchée sur des poils de
narines exagérément longs.
J'eus ma réponse le lendemain quand je vis que ses narines étaient propres...
Depuis
cette affreuse révélation, je le vois presque quotidiennement se
promener à pas lents, arpentant les corridors tel un atome perdu dans
l'univers. Il fait le grand tour du secteur, regardant un peu partout,
en marchant au moins deux fois plus lentement que quelqu'un qui marche
d'un pas normal. Quand je passe à côté de lui, je retiens mon souffle
pour ne pas respirer la "draft" puante qui le suit sur son passage.
Des
fois, il vient s'accoter sur mes paravents sans que je ne le regarde
ni que je ne l'invite. Je fais parfois semblant d'être occupé et de ne
pas le voir (difficile de feinter pendant des heures puisque mon
cubicule est vraiment pas très grand et il faudrait vraiment être
aveugle pour pas se rendre compte de la présence de quelqu'un), mais il
reste là pareil (TABARNAC!!) et cherche un sujet à aborder.
Y'a
environ 2 mois, il s'est mis à me parler des pyramides en Égypte et de
la découverte de sarcophages divers. Moi je m'en calisse éperduement
des pyramides en Égypte. Donc je l'écoute poliement, sans trop le
relancer parce que je sais que ça pourrait s'éterniser.
Quelques
semaines plus tard, il est arrivé dans mon bureau avec quelques
feuilles imprimées sur internet. Il m'a dit: "Aimes tu ça les avions
toi?" J'ai répondu "non" en ajoutant que je ne connaissais rien
là-dedans. Ben là il me dit que l'armée canadienne ou l'armée
américaine avait commandé tel nombre de tels avions pour une telle
somme de quelques milliards de dollars. Évidemment, je m'en calissais
encore, mais vous savez, je suis tellement poli et cordial que je l'ai
une fois de plus écouté poliement, en étant par contre totalement
désintéressé.
Et
des fois, il revient me voir comme ça, pour me dire: "Toujours pas de
nouvelles des recherches sur les sarcophages!" comme si ça
m'intéressait et que j'attendais après ça. Comme si je lui avais dit:
"Hey, tu me tiendras au courant de ce qui se passe avec les pyramides
hein!"
Et
puis là tantôt, je posais une question à mon voisin, dans le cadre
d'un de mes dossiers. On jasait pas de barbecue et de hot-dogs là,
c'était professionnel et ça paraissait... Eh bien notre héros est
surgit de nulle part, venant s'accoter sur mes paravents pour nous
regarder jaser. Il avait une question complètement inutile qui aurait
pu attendre, mais il fallait qu'il la pose à ce moment là et qu'il
s'accote pendant 5 minutes sur les paravents en nous regardant jaser.
Une
fois, j'étais aux toilettes, je me lavais les mains. Je le vis sortir
des chiottes sans se laver les mains. Ça donne le goût de se ronger les
ongles après lui avoir serré la main.
Dernièrement, je me lavais encore les mains aux toilettes. Je le vis entrer et venir se laver les mains, sans raison.
Encore
plus récemment, je m'en allais dans un corridor, en arrière de lui. Je
le vis rebrousser chemin pour revenir sur ses pas à environ 30 mètres
de son bureau. Comme un gars qui marche pour marcher, en espérant
tomber sur quelque chose à quelque part.
Il
n'a vraiment rien à foutre ici. Il se promène partout, fait le tour
des étages à pas de bébé en regardant à gauche et à droite. À un moment
donné, il va faire une petite crotte sur un étage. Il ressort des
toilettes sans se laver les mains. Il redescend 4-5 étages, le temps de
beurrer les rampes d'escalier bien comme il faut. Il va ensuite se
laver les mains à un autre étage. Après tant d'exercice, il a besoin
d'un peu de repos. Il va donc voir quelqu'un pour lui parler d'avions et
de pyramides. Une fois la discussion terminée, il poursuit sa marche
aléatoire au travers du bureau. Quand il voit une discussion assez
légère entre deux ou trois personnes plus abordables, il s'y incruste,
pensant probablement qu'il pourrait y ajouter quelque chose
d'intéressant. Et ainsi se déroule la vie de notre vieux criss de sale
où chaque journée est d'une utilité plus que douteuse...